André Losay
Il y a 20 ans, le 21 mars 1984, à l'âge de 71 ans, André Losay nous quittait.
Semper laus ejus
"Semper laus ejus" est le titre qu'il a donné à deux recueils de chants pour les cérémonies religieuses, dont le second parut à titre posthume, avec une préface du Père Jean Pihan, ancien aumônier général des "Coeurs Vaillants et Ames Vaillantes de France", un ami de toujours.
"Semper laus ejus in ore meo" (psaume 33), "sa louange toujours à mes lèvres". Tel fut en effet le sens profond et permanent qu'il voulut donner à sa vie, au service de la célébration divine, toujours extrèmement investi dans la recherche de ce qui pouvait faciliter la prière.
Le " laus ejus " lui même, jeu de mot de collégien, assurément, à partir de la similitude phonétique avec le nom de Losay, est encore là pour nous rappeler la simplicité et le cœur d'enfant qui ne l'ont jamais quittés, le poussant parfois à une naïveté désarmante et à un certaine gaucherie en société.
André Losay est né le 28 janvier 1913 à Fécamp, troisième et dernier enfant d'une famille très modeste, pour ne pas dire pauvre. Comme ses frères René (né en 1909) et Georges (né en 1910), il fut privé de son père pendant plusieurs années de sa petite enfance.
Georges, André et René.
Son père, Armand Losay, né en 1884, fut, comme toute sa génération, mobilisé en août 1914. Armand fut fait prisonnier de guerre le 1° septembre 1914 à Givet (Ardennes). Interné au camp de prisonniers à Zwickau (Saxe), il ne fut libéré qu'en janvier 1919. André Losay allait avoir six ans dans quelques jours. Il ne gardait, évidemment aucun souvenir de son père. Armand reprend sa vie de travail à Fécamp, modeleur chez Pelletier, puis contremaître à la Glacière de Fécamp.
Comme ses deux frères, André Losay va à l'école primaire à l'Institution privée catholique St André, rue de l'inondation à Fécamp, école dirigée par Mr Camille Pélissier. Faute de moyens financiers, René et Georges quittent l'école à l'âge de 14 ans. André doit à la générosité de Mr et Mme Eugène Romé, qui le prennent en charge et en affection, de pouvoir poursuivre ses études secondaires. Il entre comme pensionnaire au petit séminaire de Rouen.
C'est là qu'il approfondit sa foi chrétienne et découvre la musique et le chant. Il nous est difficile, sans doute, à 80 ans de distance de faire abstraction de la formidable évolution culturelle et sociale qui a brassé les modes de vie et de pensée. Issue de la campagne cauchoise, pas du tout intégrée au monde ouvrier avec ses propres valeurs, son histoire, ses rites, la famille Losay est sans doute typique de cette société très traditionaliste à peine sortie de la ruralité. Pour elle, les valeurs morales sont naturellement celles de l'Eglise. Elle pratique un catholicisme simple, parfois proche du polythéisme (avec son panthéon de Saints pour chaque chose). Et, pour elle, le curé est à la fois non seulement le guide spirituel mais aussi le point de référence quant au décryptage du Monde et des évènements politiques et sociaux..
Pour Hélène (née Argentin), la mère d'André, jusqu'à son décès en 1978, le prisme politique se limitera aux Blancs, aux Bleus et aux Rouges. Si les Rouges, dont on peut être surpris que, dans cet univers de pensée, la SFIO de Guy Mollet et de Max Lejeune en faisait partie ! sont d'office exclus ; on oscille entre les Blancs, porteurs de l'ordre moral de la France éternelle et catholique d'une part et les Bleus, la République du petit peuple, à laquelle on est quand même très attaché d'autre part. Il n'empêche que, dans la famille, on n'est pas alors pas peu fier, d'avoir fait barrage de sa poitrine, avec les amis, devant la porte de l'église, au moment de la crise des inventaires. Naturellement, à une certaine époque, la figure emblématique du général de Gaulle assurera le syncrétisme entre " Blancs " et " Bleus ".
Ce milieu, ces référents là, seront toujours présents dans l'univers d'André Losay : une foi simple, la foi " du charbonnier " qu'il dira toujours préférer, malgré sa profonde culture, aux spéculations théologiques, un attachement, un amour même, pour " les petits ", ceux " d'en-bas " et les enfants. Une fidélité indéfectible à l'Eglise, quelles que soient les vicissitudes, ne pouvant séparer foi et pratique religieuse, à des années lumières du catholicisme repackagé en morale personnelle self-service, cette espèce de " protestantisme avec pape ", que l'on rencontre souvent aujourd'hui.
Très vite, André Losay intègre la chorale du collège St Romain de Rouen où il est alto solo. Il apprend le chant, mais aussi le solfège et s'initie au Grégorien avec l'abbé Derivière dont André Losay dira plus tard qu'il en était un spécialiste éminent. En Philo (terminale), il devient assistant du Maître de Chapelle, Delettre, qu'il aide à diriger la chorale.
En 1933, André Losay entre en toute logique au Grand Séminaire de Rouen, rue des oiseaux. Mais, il a 20 ans et le fracas des armes s'annonce déjà. Il fait 12 mois de service militaire au 91° RI à Mézières. Libéré en 1934, il est alors remobilisé à cause de la menace des casques d'acier hitlériens. Il reste plusieurs mois à Givet, là même où son père avait été fait prisonnier en 1914.
C'est alors qu'il commence à correspondre avec le mouvement " Cœurs Vaillants " auquel il propose déjà quelques chants. Ses projets sont bien accueillis. André Losay monte à Paris rencontrer Jacques Cœur et Jean Vaillant, les deux dirigeants du mouvement. On sait que ces noms de plume cachent respectivement les abbés Gaston Courtois et Jean Pihan. André Losay commence une collaboration régulière avec le mouvement qui se poursuivra également par la publication de romans chez Fleurus. Commence aussi avec Jean Pihan une amitié personnelle qui ne s'éteindra jamais.
Les chants sont dans l'air du temps et mettent à l'honneur la foi, le courage, le travail, la fierté, le patriotisme. " Travail, Famille, Patrie " diront indiscutablement certains. Je n'en suis pas loin. Bien sûr, la devise pétainiste s'est associée à l'occupation allemande et à la collaboration active à la barbarie nazie, cependant, en y ajoutant " religion ", les concepts sont alors très partagés par la France profonde, rurale et catholique quelles que soient les options que prendront les uns ou les autres pendant la guerre.
Dès cette époque, et jusqu'aux années 60, le courant de pensée qui anime Cœurs Vaillants et se retrouvera plus tard chez Fleurus, ou dans la collection " signes de pistes " n'est pas avare de couplets patriotiques et d'appels au dépassement de soi. Pour mieux comprendre, n'oublions cependant pas que l'Eglise cherche encore à gagner ses galons de " patriote " que les Républicains leur contestent encore ; les querelles sur la laïcité, les congrégations ne sont pas loin.
Parmi ces chants, André Losay écrit et compose en mars 1938 " cœur vaillant, sois fier et travaille " qui se veut un des hymnes du mouvement et qu'il dédie à Roger Hardy.
Il est mobilisé en août 1938 et part au front. Le traité de Munich le renvoie dans ses foyers, à Dieppe. La " prière pour la paix " qu'il compose en janvier 1939 n'empêche pas l'avancée des évènements. En août 1939, il est incorporé sur la ligne Maginot au 155° Régiment d'Infanterie de Forteresse, pas très loin de Sedan.
Caporal infirmier, il fait retraite au sein de son unité, du 11 au 20 juin 1940. Il est décoré de la croix de guerre pour bravoure, étant à plusieurs reprises reparti vers l'arrière pour chercher des camarades blessés. Il est fait prisonnier le 21 juin 1940 à Bru, puis transféré au stalag 3B. Il est pour quelques temps l'un des " quinze cent mille ", comme on nommait alors le million et demi de prisonniers de guerre français.
Au stalag, il écrit et compose de nombreux chants à caractère religieux ou patriotique ; certains à caractère plus ludique. Si est parfois collée à l'abbé Gaston Courtois l'étiquette de pétainiste (ce sur quoi je ne possède aucune information), il apparaît clairement dans la tonalité des chants d'André Losay, comme dans tout l'Etat d'esprit du mouvement Cœur Vaillant auquel il est désormais attaché, que l'esprit de la revanche française fait son chemin.
Dans son cahier de chants de prisonnier (illustré par son camarade Albert Mairy) on trouve une méditation à l'humour tendre sur la condition de prisonnier, " un métier pas fameux " mais aussi un vrai cri de rancœur " Seigneur c'est donc bien vrai que je suis prisonnier ".
Mais on trouve également des chants de foi et d'espérance, notamment " te revoir, ô, ma patrie " dont il écrit les paroles sur un air que chantent des prisonniers polonais du stalag.
C'est également à partir d'un air polonais recueilli à cette époque qu'il écrit au stalag 3B " Victoire tu règneras, ô croix tu nous sauveras " chant qui deviendra extrêmement populaire dans l'animation des cérémonies religieuses et sera chanté dans de nombreux pays et de nombreuses langues. Ultérieurement, l'abbé David Julien en retravaillera l'harmonisation, ce qui explique que son nom n'apparaisse pas dans les premières éditions de la fiche de ce chant, puis ensuite de manière associée à celui d'André Losay. (Ceci explique moins que certaines éditions ne fasse apparaître que celui de David Julien). 60 ans après, " Victoire " est toujours chanté.
André Losay est libéré en février 1941. Il rejoint à Lyon l'équipe de " L'Union des Œuvres " Coeurs Vaillants et Ames Vaillantes qu'animent les abbés Courtois et Pihan. Il travaille avec eux et compose notamment :
" Carillon pour Jeanne " qui sera chanté à Radio Lyon, à l'occasion de la Ste Jeanne d'Arc, le 9 mai 1941 par le RP Raguet et joué le 11 mai 1941 au Carillon de Fourvières.
" Grand frère " qui sera l'indicatif de l'émission éponyme de Radio Lyon à laquelle participe André Losay.
" Perlin Pinpin "
C'est également en 1941 qu'il écrit et compose " France, tu renaîtras " chant qui connaîtra également un certain succès et que l'abbé Julien caractérisera à l 'époque comme un " chef d'œuvre ".
Robert Rigot réalisera plusieurs illustrations pour ces chants d'André Losay. Celle destinée à " Carillon pour Jeanne " affiche ostensiblement une grande croix de Lorraine (nous sommes en 1941)
Ayant quitté Lyon, en 1942, André Losay fonde à Tréforest, dans le pays de Bray, un camp scolaire où une centaine d'enfants dieppois seront hébergés et préservés des bombardements sur Dieppe, jusqu'à la Libération.. Il continue alors sa collaboration avec le mouvement Cœur Vaillant.
Après la guerre, André Losay s'essaie à de nombreux emplois où il n'excelle guère : représentant en vin, en machines à écrire, en reproduction de tableaux, ce rêveur n'est pas un vendeur ! Après plusieurs années de " galère " , maintenant marié et père d'un premier enfant, Patrick, il trouve, grâce à son ami Achille Dolé, une place de visiteur médical et un logement à Champigny (94).
Il commence alors à écrire sous le pseudonyme d'André DELOR. Ce patronyme d'emprunt étant formé à partir du prénom et du nom de sa femme : DEnise LORphelin. André Losay (maintenant DELOR) quitte le terrain connu des chants et des contes pour s'essayer dans le roman historique pour enfants, toujours dans l'esprit " édifiant " de la presse catholique pour la jeunesse.
En 1956, il publie en feuilleton dans " Cœurs Vaillants " une Bande Dessinée " le dessin dans la caverne ".
Paraît également en feuilleton dans " Ames Vaillantes " un premier roman " les machines de la colère ".
En 1957, paraît chez Fleurus, dans la collection " Jean François ", " le révolté de Bethléem ".
En 1960, toujours chez Fleurus, dans la collection " Missions sans borne ", paraît " Gare à toi Taranis "
Publié une première fois en 1967, " Du sang pour le soleil " sera traduit en portugais et en Italien. Il connaîtra même deux éditions successives en Italie. (1ere et 2eme édition)
Son dernier roman, inspiré d'un feuilleton " le Fou des dunes " qu'il avait écrit pour l'hebdomadaire local " la semaine boulonnaise " devait s'appeler " les chemins de Godefroy ". Il paraîtra après la mort d'André Losay sous le titre " Godefroy de Bouillon et ses amis de Boulogne "
Arrivé en 1965 à Boulogne sur mer, André Losay consacrera essentiellement les 20 dernières années de sa vie au chant choral. Grâce à l'abbé Michel Dantan, alors curé de la paroisse Notre Dame, il prend la direction de la chorale paroissiale, à laquelle il donnera un répertoire et une aura dépassant largement son cadre d'origine.
C'est comme maître de chapelle de cette chorale, qu'il composera à nouveau et, parfois encore, avec un certain succès. " Plus jamais la guerre " écrit et composé en reprenant le cri de Paul VI le 4 octobre 1965 à l'ONU fut chanté au pèlerinage des anciens prisonniers et déportés à Lourdes et connut un grand retentissement, comme " Tous les hommes sont frères ".
Si le moralisme un peu simpliste et le patriotisme aujourd'hui désuet des années 30 et 40 se sont peu à peu estompés, les valeurs fortes de charité, de tolérance et d'amour sont de plus en plus présentes. Le " Plus jamais la guerre " n'est pas que l'écho de celui du Pape, c'est aussi celui de l'ancien prisonnier, comme celui du contemporain des guerres d'Algérie, d'Indochine et du Viet Nam.
André Losay qui a toujours professé la détestation de la politique, est de plus en plus sensible au sort du tiers et du quart monde. Il crée à Boulogne le " centre d'études et d'action en faveur du tiers monde ", association caritative, inspirée des idées de la revue " Croissance des jeunes nations ". Avec un groupe de jeunes qu'il crée, les " commandos de Noël ", il organise des collectes en faveur des déshérités. Il participe à l'Office municipal de la Culture. Il soutient l'action de l'ordre de Malte en faveur des lépreux du Cameroun. Dès la fin des années 60, il fait de l'alphabétisation auprès des immigrés, professant même qu'il fallait apprendre à lire le Français à ces jeunes immigrés dans le Coran pour préserver leurs racines morales. (André Losay 1980)
Vers la fin de ses jours, André Losay voulut réunir dans les deux fascicules " semper laus ejus " (fascicule 1 et fascicule 2), quelques unes de ces compositions et de ses arrangements liturgiques, sans doute pour pérenniser une partie de son œuvre auprès de " sa " chorale.
Le jour de son décès, le 21 mars 1984, se succédèrent chez lui, pour lui rendre un dernier hommage, Guy Lengagne le maire socialiste de Boulogne, des amis prêtres, le pasteur anglican et le responsable local du culte musulman. Il n'aurait sans doute pas rêvé de plus beau symbole.
Citons pour finir Jean Pihan, lui même disparu en 1996, dans la préface qu'il fît au recueil n°2 de " semper laus ejus " :
" André, mon ami, mon frère, tu m'es présent.
Tu sais bien que je n'ai jamais admis que l'on dise : nos absents en parlant des " dé-funts ", c'est à dire de ceux d'entre nous qui ont accompli leur temps de " fonction " ici bas.
...
Ma foi m'assure qu'auprès du Père, tu reprends tous ces airs, comme autrefois parmi nous, avec ta flûte.
Ensemble nous avons chanté les enfants, leur idéal de vaillance, leurs jeux et leurs amis préférés : tu te souviens des deux petits nains Perlin et Pinpin, dont tu évoquais les bévues et les mésaventures.
Aux heures douloureuses, nous avons chanté le retour du prisonnier que tu as été " te revoir ô ma patrie ". Puis la certitude du renouveau du pays humilié " France, France tu renaîtras ". Et le triomphe du seigneur : " Victoire tu régneras ". Et l'intense appel pour une paix fondée sur la justice et l'amour " Plus jamais la guerre ".
...
Alors je suis sûr que toi, avec ton petit sourire en coin que je connais, et en toute humilité bien sûr, tu as su obtenir de faire monter vers Dieu des louanges nouvelles : semper laus ejus in ore meo.
Jusqu'à ce que, à notre tour, ayant accompli notre fonction terrestre, nous soyons admis à chanter éternellement avec toi ".
Dominique Losay Janvier 2004